J’étais samedi au marché de Patelain-au-Perche où j’ai retrouvé mes copains producteurs de légumes bio sans étiquettes. L’ambiance était morose, rapport à une nouvelle offensive de la grande distribution sur les patates de Pologne, les poireaux de Hongrie et les carottes d’Egypte vendus moins cher que les semences. « On peut plus lutter, va falloir qu’on s’mobilise façon Gwadloup » constate Maurice, le Domota du coin en faisant un large geste du bras en direction des clients fantômes.
Sous la halle, à l’abri du crachin normand, le calva du commerce a repris ses droits (dans le Perche le café se dit calva ndlr). La volatilité des bourses inquiète, forcément : « moi je reste liquide jusqu’au printemps » dit Robert et toi Dugras ? « Bof je suis de près l’évolution du TED spread il me reste 25% bx4 je guette une éventuelle capitulation à 170 pour lâcher si un redoux commence à se faire sentir… » Et toi l‘parigot-tête de veau ? Heu… Comme je n’allais pas leur avouer que je misais tout sur le livret A des enfants, j’ai détourné la conversation sur la réforme Balladur.
J’avais visé juste, pensez l’avenir des collectivités territoriales ça passionne la France profonde ! Le rapprochement de la Basse et de la Haute Normandie, ici on est pour. Toute mesure qui vise à réduire le nombre de fonctionnaires hormis ceux de l’hôpital et de la poste, on tend le pouce bien haut ! Faut vivre avec son époque renchérit François Xavier le volailler. « Même l’église rationalise ses choix budgétaires, il n’y a longtemps qu’il n’y a plus un curé dans chaque paroisse ! Chez moi, l’évêché a externalisé le service de la messe à une ONG africaine, Jésus sans Frontière, ben on est très content de l’abée Lutumba Ndombe et ses Bana Malongi qui viennent nous chanter les vêpres en congolais un dimanche sur deux …ça coûte moins cher, chacun s’y retrouve ! » Tout le monde approuve en soulevant les épaules.
Ne voulant pas me laisser embarquer dans une conversation pas très chiite à mon goût, je recentre le débat sur les collectivités locales. Je trouve pour ma part dis-je que la république a maintenu sous le clocher du moindre village une municipalité budgétivore et inutile. Je cite Saint-Jacques du Vieux-Patelain qui compte à peines 125 habitants en semaine et 129 le week-end grâce à ma famille. Ce village n’a ni poste, ni école, ni épicerie, ni boulangerie mais elle arbore devant le monument aux morts une mairie tenue par une secrétaire aux ongles parfaits qui reçoit quelques heures par mois un maire et un conseil municipal bouffis d’importance. « Et payés par-dessus le marché ! » Lance le marchand de poule : « la réforme des collectivités, faudrait la commencer par la base, faut couper l’herbe aux racines si on ne veut pas que ça repousse… »
Le débat est lancé, Maurice s’absente pour aller servir la veuve Germain la malvoyante qui réclame des poireaux en insistant tellement sur le pluriel que s’en est singulièrement louche. On se regarde avec l’envie de pouffer.
Je tente une diversion en racontant le roman de José Saramago, le bouquin acheté à la FNAC (les lecteurs assidus du blog sont au courant). C’est l’histoire d’une ville dont les habitants votent blanc à 85%. Le pouvoir est désemparé, il allègue l’influence du mauvais temps sur la population et organise un nouveau scrutin un jour de soleil. Le vote blanc persiste à une écrasante majorité. La loi martiale est décrétée, la population reste passive. Une nuit, le pouvoir s’estimant indigne de ses administrés fuit la ville en catimini pour aller organiser la résistance depuis la province… Et alors ?
Maurice qui a bâclé la veuve voudrait que je reprenne l’histoire depuis le début. Je feins l’agacement, « oh y’a pas écrit maison de la culture! Il a qu’à passer commande sur amazone.fr ! » (Je redis pour ceux qui ne savent pas apprécier la langue sauce normande que le « il » est ici utilisé en lieu et place de la deuxième personne du singulier ou du pluriel). On me calme et on me flatte l’importance «c’est bien beau de causer mais il propose quoi le parigot-tête de veau ? Il a qu’à s’inscrire et se présenter aux prochaines élections » L’idée me séduit.
Pourquoi ne pas constituer une liste et faire campagne sur l’inutilité d’une mairie, en promettant une fois élu de se saborder en demandant le rattachement de l’ex-commune de Saint-Jacques du Vieux-Patelain au village de Saint-Jacques voisin qui lui compte 342 habitants ! Oui mais si St-Jacques fait de même pour fusionner avec Patelain -au-Perche…. « Ho là stop la contagion, il nous refait le roman, le parigot-tête de veau, je vais chercher le calva à la camionnette parce que je commence à avoir soif ! » M'interrompt le volailler.
Au fait de quoi on parlait ?
Ah oui la réforme Balladur !
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