Allez savoir pourquoi je pense à cet homme ?
Edgar Faure fût incontestablement l’homme politique français le plus brillant d’un passé pas si lointain. Plusieurs fois ministre et premier ministre, avocat, auteur de romans, académicien…Il reçu tous les honneurs de la République sauf ceux de la légion d’honneur car il siégeât au parlement sans discontinuer de 1946 à sa mort. Pendant un demi-siècle il a été l’artisan de toutes les intrigues politiciennes, entremetteur entre la gauche et la droite mais aussi homme providentiel que l’on appelait chaque fois que la république prenait feu : en Afrique du nord, dans un bassin industriel (LIP), à l’éducation nationale après mai 68… On dit qu’il ne se levait jamais avant 10h du matin, il prétendait avec coquetterie n’avoir jamais dormi seul. Les jolies femmes se pressaient autour de lui. Il adorait la table, les bons vins, il accumulait de l’argent qu’il ne dépensait pas. Son intelligence fulgurante, son humour, son charme étaient dévastateurs.
Allez savoir pourquoi je pense à cet homme ?
En 1987, je me rends à son cabinet de la rue de Grenelle où je suis accueilli par une secrétaire sans âge dans un capharnaüm de livres et d’objets hétéroclites. Je patiente sur un canapé défraichit en feuilletant des revues comme chez le dentiste. Machinalement je tapote nerveusement le crane d’un énorme buste en cuivre d’Edgar Faure posé à même le sol. Je sens qu’on m’observe. « Continuez ça me fait du bien ! » me dit l’homme adossé au chambranle de la porte. Je bafouille Monsieur le Président…Dans son bureau, je lui parle de mon intérêt pour la célébration du bicentenaire de la révolution française que le gouvernement lui a demandé de conduire. C’est ainsi que je participerai pendant les mois suivants à diverses réunions.
En mars 1988, la radio annonce le décès du grand homme. En fin de matinée, je me hâte rue de Grenelle un peu surpris de la trouver déserte. Le porche est ouvert. Sur le pallier au premier étage la secrétaire m’accueille, je lui demande le registre de condoléance, elle me fait entrer dans le bureau du Président et referme la porte. Devant moi, sur une table repose Edgar Faure en costume trois pièces. Les mains jointes sur le ventre, il est comme endormi pour une sieste éternelle. Près du corps on a posé une gerbe de blés retenus par un ruban bleu blanc rouge. Le silence est impressionnant. Un coup de clackson assourdi par les doubles rideaux me fait un instant craindre que le Président se réveille. Que faire ? Depuis combien de temps suis-je là, immobile, n’osant pas faire un pas vers la bibliothèque. Je reste foudroyé par l’événement. J’attends. Quelqu’un va venir prendre le relais. La fidèle secrétaire va entrer…Au bout d’une indécente éternité, je sors d’un pas pressé sans rencontrer âme qui vive. La rue est toujours déserte. La mort d’Edgar Faure a pris de court la classe politique qui hésite à venir rendre hommage à l’homme controversé. Nul ne sait s’il sera glorifié ou s’il portera le chapeau des affaires nauséabondes qui abondent à cette époque. Les rats attendent le signal de la curée ou de l’action de grâce. Dans l’après-midi, le Président Mitterrand arrive rue de Grenelle. Deux heures après, le service d’ordre peine à contenir la foule et la presse. Les officiels défileront jusqu’à tard dans la nuit dans le petit bureau du grand président qui recevra les honneurs de funérailles en grandes pompes aux Invalides.
Allez savoir pourquoi je pense à cet homme ?
Avoir toujours raison c’est un grand tort disait-il. L’auteur de « Prévoir le présent », habile ministre des finances de Pierre Mendes France aurait-il prédit la crise et trouvé des solutions ? Comment le père de l’indépendance de la Tunisie et du Maroc aurait-il résolu la révolte des DOM ? Se serait-il prononcé sur la question cruciale de la réintroduction des ours dans les Pyrénéens dont on n’entend d’ailleurs plus parler alors que ce sujet divise tant les français ? Se serait-il fait photographier au bras de Ségolène à Marbella ? Anxiogène comme tous les français du moment, j’écoute la radio, je lis les journaux, le samedi je défile devant les caissières d’Auchan…Comme tous, je suis à l’affût d’une lueur d’intelligence, d’humour, de bon sens du terroir.
Edgar Faure disait : « chez moi quand on tue le cochon, tout le monde est content ! Sauf le cochon ! »
Allez savoir pourquoi…
2 commentaires:
Comme tout le monde en période de trouble tu te tournes vers le passé pour essayer de deviner un avenir incertain qui, le dit-on, marque une rupture par rapport ... au passé.
Edgar est l'illustration parfaite de cette "pensée" : brillant représentant de la 4ème République dans la 5ème.
sauf que les obsèques d'edgar Faure eurent lieu à Ste Clotilde et pas aux invalides
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