8 mai 1993, Karaganda au nord du Kazakhstan. Le ciel est pur, la terre est grise. La steppe à perte de vue. Cinq hommes et deux femmes figés devant un tas de pierres que surmonte une stèle grossière. L’ambassadeur oublié d’une France lointaine nous a entraînés dans l’aridité du souvenir de l’horreur. Ici dans les ruines d’un goulag soviétique reposent les restes d’une centaine de français. «C’étaient des nazis ! » ont protesté hier les anciens combattants de l’armée rouge que nous avons rencontrés. « Ils étaient des Malgré-nous a plaidé l’ambassadeur, la plupart étaient des pauvres gosses, l’un d’entre eux était peut-être un authentique résistant ? Il mérite le salut de la France. » Les vétérans n’ont pas fléchi, un traitre est un traitre, l’Asie centrale n’est pas l’Alsace-Lorraine. Il faut dire que la province de Karaganda et Semipalatinsk est un concentré d’injustices. Pendant soixante ans, sur cette terre interdite aux étrangers, des humanoïdes ont extrait le fer des mines. Lorsque le filon était épuisé, les militaires y faisaient exploser une bombe. Plus de quatre cents expérimentations nucléaires ! Une région entière irradiée, des cancers méticuleusement répertoriés, un laboratoire in vitro à ciel ouvert grand comme la Corse. Alors, dans ces conditions, la repentance tardive de la France pour une poignée de bagnards...
Soudain, surgis de nulle part, des soldats russes nous entourent mettant fin à la commémoration.
Ils nous invitent à boire un verre dans leur caserne toute proche. Les sourires sont engageants. Des françouski, ils n’en reviennent pas ! On forme cortège, blindé russe à l’avant, voiture fanion tricolore suivant. On traverse un champ de chars soigneusement rangés tête-bêche, on compte les travées, il y en a plusieurs centaines pas mal rouillés. Déjà dans le cantonnement des officiers, les femmes s’affairent, elles dressent des planches sur des tréteaux, lancent des nappes blanches, toutes les réserves de friandises sont amassées en un tour de main. La vodka est servie ! Une jeune fille apporte un accordéon. Un diplomate retrouve son livret de chansons, et jusqu’au soir les ritournelles russes et françaises s’enchaîneront. On raconte notre histoire de Malgré-nous, on explique, on nous embrasse, on se sépare avec des perles dans les yeux.
Autre temps, autre lieu:
8 mai 1945, la France libérée est en liesse. L’Algérie aussi. A Sétif, les indigènes indécents veulent aussi être de la fête. N’étaient-ils pas au combat ? Devant le « Café de France » un jeune brandit le drapeau algérien. Il est abattu. A ce moment l’histoire bascule. Avant lui des milliers d’algériens étaient morts pour que vive la France, après lui des milliers d’autres algériens mourront pour que vive l’Algérie.
En ce joli mois de mai 2009 qui pointe le nez, qui viendra fleurir la tombe du gonfalonier oublié ? De ce Malgré-lui victime emblématique des combats pour la liberté de la France et de l’Algérie ? Vous me direz que ces dernières années, deux ambassadeurs de France sont déjà passés chacun avec des paroles aimables. Est-ce bien suffisant ?
Qu’est-il prévu à l’agenda du 8 mai du ministre des 3i (immigration, intégration, identité) dont la mission précisée au journal officiel est de participer à « la politique de mémoire de la République » ?
J’appréhende une déception car en politique, le courage du souvenir est rare.
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