samedi 25 avril 2009

Quand le calendrier s'emmêle

Je suis né vers la fin du quatorzième siècle au beau milieu de l’année lunaire, un 20 du mois Joumadâ Al-thani de l’hégire. Ceci correspond au 19 avril du calendrier solaire du milieu du siècle grégorien dernier. Mes années comptent 354 nuits de lune et 365 jours de soleil. Mais de soleil le 19 avril dernier, il n’y en avait point. Les astres décidèrent d’autorité de faire le pont. Je célèbrerai donc mes années de lune le 13 juin prochain soit précisément le 20 Joumadâ Al-Thani de l’an 1430.

Je devine votre sourire en coin, vous pensez que je perds le sens de la mesure, que j’aie la prétention inouïe de vouloir convertir le calendrier selon mon humeur et l’air du temps ! Que par un caprice extravagant je voudrais changer ma naissance au gré de la météo. Et pourquoi pas ? J’étais Bélier, né sous le signe du rat dans le ciel chinois, il est probable que je mourrai chèvre, ce qui vaut mieux que l’inverse, mais qu’importe, mon horloge sera celle de mon destin.
C’est une partie de mon identité, elle est duale, interchangeable, réversible par mauvais temps, pratique à porter. Je dirai même que cette forme culturelle d'hermaphrodisme est un confort de vie. Il ne s’agit pas de religion ni de confusion entre la cloche et le muezzin, ramadan et carême, charité et zakat, cinq piliers et sept pêchés…Il s’agit d’une anomalie congénitale qui n’est pas transmissible par poignée de main. Elle me fût révélée dés que le premier rayon de soleil détourna mon regard vers la lune.

J’ai reçu en cadeau pour mon anniversaire grégorien pluvieux quelque mille six cents pages d’Aragon. Ce recueil édité à La Pléiade est une merveille de douceur et de cruauté. Pendant que les pages en papier de soie caressent vos doigts les caractères lilliputiens meurtrissent les yeux.
Le génie d’Aragon a traversé le siècle dernier dans une France de suspicion. Aimer Aragon, c’était s’encarter au parti communiste par procuration. Poète adulé ou maudit, il prit prétexte de son amour Fou pour Elsa pour consacrer dix ans de sa vie à l’écriture sublimée de l’histoire de la chute de Grenade. Témoignage de sa quête minutieuse vers la compréhension de l’autre. De l’ Andalousie de 1492 à la France de 1954 le voyage ne fût pas long, juste une histoire de calendrier…

Plus près de nous, Abdi Wali Abdelkader, pirate capturé par les Américains. Il déclare être âgé de 15 ans, sa mère prétend qu’il en a 16, le tribunal de Manhattan estime qu’il en a 18. Cette divergence d’appréciation est sans importance en Somalie où il y a longtemps que l’on ne compte plus les jours sans pain et où la poste et les calendriers ont disparu… depuis la chute de la reine de Sabbat ! Notons au passage que la science US est incapable de dater les artères d’un homme alors que chez moi, en Normandie, n’importe quel cheval peut dire l’âge du percheron rien qu’en lui comptant les dents ! Donc, Abdi Wali sera jugé en tant qu’adulte et probablement condamné à vivre derrière des barreaux new yorkais. Il se consolera en pensant que de toute façon il n’aurait pas fait de vieux os dans son pays où l’espérance de vie est de 42 ans. A moins qu’un habile juriste ne réussisse à prouver que selon le calendrier nabatéen qui est toujours en vigueur au Putland, le jeune pirate n’a que 6 ans ! Dans ce cas Abdi sera condamné à aller mourir prématurément dans son pays de misère et de poètes. Il pourra alors proclamer avec Aragon :
« N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fût belle »

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