Oubliez la crise, allez « au Bon Marché » ! Si vous êtes parisien, c’est facile, si vous êtes percheron, limousin ou basque, faites le détour, il en vaut la peine !
Au Bon Marché le mal nommé tout est chic, tout est cher, mais on y entre sans obligation d’achat. Il suffit d’être habillé propre, les chaussures cirées, une barbe de deux jours pour faire masculin, ou des lunettes de soleil dans les cheveux pour faire fille ou les deux car après tout chacun sa tendance.
Vous trouverez ce grand magasin à la sortie du métro Sèvres Babylone. Si vous venez en limousine, il y a un voiturier, si vous venez en Renault il y a un parking à 3 euros de l’heure comme partout dans Paris. Ne vous arrêtez pas devant les quelques personnes biens mises assises sur le trottoir : il s’agit de mendiants attitrés qui sont hors du prix de votre aumône. Les jolies dames en noire qui fument en battant le pavé rue de Babylone ne sont pas des michetonneuses mais des vendeuses qui font la pose. Passez votre chemin et poussez les portes du magasin.
Filez directement au centre du rez-de-chaussée. Oui sous la verrière, au milieu des parfumeurs il y a deux canapés moelleux en cuir fauve qui n’attendent que votre soupir d’aise. Fermez les yeux. Respirez le capiteux. Devinez la dominante des effluves : ambre, jasmin, rose… Ecoutez les chuchotements et les frôlements : « puis-je ? veuillez me pardonnez, mais je vous en prie, c’est un plaisir… » Le personnel prévenant de cet établissement est d’une charmante disponibilité.
Reprenez vos esprits allez faire semblant d’acheter, les vendeuses sont tellement attentionnées qu’il faut se retenir pour ne pas casser son livret Ecureuil rien que pour leur faire plaisir. Si vous avez besoin d’un chapeau, rendez visite à l’exquise modiste ! Il y a aussi chez les couturiers des tas de petites choses frivoles que vous ne risquez pas de retrouver sur les épaules de votre voisin d’autobus. Inutile d’aller vous attarder pas dans les étages, on y trouve pareillement de belles choses de bien bonne qualité à des prix astronomiques. Vous me direz : « le prix s’oublie, la qualité reste ! » Sauf que je ne vous ai pas entraîné au Bon Marché pour faire des emplettes.
Au Bon Marché, le plus extraordinaire, le plus éclatant de beauté, le plus rayonnant de bien être et de sérénité, c’est le client ! Ou plutôt les clientes, toutes plus belles les unes que les autres ; elles viennent exhiber leurs bronzage, leurs peeling, leurs courbes, leurs camouflages, l’harmonie des cuirs, des soies, des cachemires…A contempler leur démarche insouciante et langoureuse, à observer leur pause devant quelques chiffons, on devine qu’elles ne savent pas lire les chiffres. Parfois l’une d’elles me renvoie mon regard et j’ai la désagréable impression d’être transparent. Il y a aussi des hommes, beaux également, habillés de noir, pantalons serrés, chaussures pointues. Parfois, l’un d’entre eux me regarde avec une insistance que je lui retourne; il se sent transparent.
Au sous-sol du magasin, il y a un immense salon avec des fauteuils confortables, des grandes tables et des chaises, et des livres partout, bien rangés. Rien à voir avec la Fnac, ni même avec une librairie aux rayons poussiéreux et caisse enregistreuse à l’entrée, ici c’est une « livre-rêverie ». Il y a même un coin pour grignoter et se rafraîchir. Vous avez envie d’acheter ? Ne vous privez pas ! Depuis Lang, le prix des livres est fixe, alors achetez Bon Marché au lieu d’allez vous ruiner chez Auchan où vous serez bien en peine de trouver un vendeur normalien pour vous conseiller. Remplissez votre cabas, faites chauffer votre carte de crédit. Faites délicatement envelopper vos achats de papier de soie et de ruban doré, c’est gratuit ! Le plaisir d’acheter avant celui de lire.
Trois heures plus tard, en sortant, marchez jusqu’à la rue du Cherche Midi, prenez un petit pain aux raisins chez Poilane que vous irez croquer au pied de la statue du Minotaure de César carrefour de la Croix Rouge.( Horreur, ils ont débaptisé la place pour la donner à Michel Debré ! Bravo Delanoë, Ségolène j’exige des excuses !)
Si vous n’êtes pas fatigué, poussez jusqu’au café de Flore pour y déguster entre deux japonaises et un philosophe peu connu un chocolat chaud à un euro la gorgé.
La crise ? Quelle crise ?
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