mercredi 1 avril 2009

La cité de l’immigration ratée

Je n’étais pas peu fier en recevant l’invitation. Pensez, pas moins de quatre ministres de la République me conviaient à l’inauguration de la médiathèque Abdelmalek Sayad à la cité de l’immigration. Je recevais enfin l’expression officielle de la reconnaissance de mon statut de minorité invisible. Il était temps en effet, qu’un Belhassine dont la famille est venue coloniser l’île de France il y a 75 ans soit reçu en pompes au musée de l’immigration ! J’ai donc passé un costume, noué une Hermès et arboré ma Rolex des grands jours.

La cité de l’immigration est hébergée à titre précaire dans les anciens locaux du Musée des Colonies à la Porte dorée, tout à coté (allez savoir pourquoi) de la Foire du Trône. C’est un imposant bâtiment blanc de style néo-stalino-colonial dont le principal intérêt est d’abriter dans ses sous-sols un étonnant aquarium qui fait les délices dominicaux des petits parisiens.

A la sortie du métro je dois montrer patte blanche. Des policiers quadrillent le quartier. On m’autorise à traverser le boulevard. Un nouveau contrôle « c’est pour votre sécurité car il y a des manifestations » me dit un agent un peu nerveux. Sur le trottoir d’en face, un autre groupe de pandores m’observe et m’accueille « vous êtes de la maison ? » Je proteste en brandissant mon invitation d’immigré. J’entends derrière moi le type se justifier auprès de son collègue « il avait la montre des chefs ! » Je suis finalement pris en charge par des hommes en costumes noirs, Ray Ban sur le nez et fil torsadé dans les oreilles. Ils me conduisent à l’abri, derrières les grilles du Musée. Ouf ! Je l’ai échappé belle ! Ça me rappelle une exfiltration à Sarajevo.
Je finis par identifier le danger qui me menaçait : de l’autre coté de la place, une centaine de CRS scandent des slogans inaudibles sous la contrainte d’un millier de manifestants porteurs de banderoles.

Yasmina Kadra lui aussi, a réussi à franchir la ligne Morice. Je le félicite chaleureusement. Si Mohammed, l’ancien Commandant de l’ALN a l’exploit modeste… Notre conversation est interrompue par l’arrivée des ministres qui passent en trombe, comme portés par leurs gardes du corps et les cameramen. Je demande à l’auteur de « L’attentat » s’il est venu chercher ici l’inspiration d’un nouveau récit ? Khadra parle doucement, ses mots m’entrainent dans une rêverie, j’ai l’impression d’être ailleurs, caché du soleil, accroupis sous un olivier, j’écoute un camarade parler de voyages merveilleux... Sur la tribune dressée au fonds du hall les officiels éructent, des protestataires chahutent. Une jeune femme est brutalement emportée par deux vigiles…On ne s’entend plus. Kadra ferme son manteau et resserre son cache col. On se dit au revoir. Je contemple une dernière fois les buffets de petits fours. Adieu Monsieur Boulaouane, beslama Sidi Brahim.

Je me réfugie dans la médiathèque baptisée du nom de Sayad, le « Socrate Algérien » qui fût le complice du grand Bourdieu. Je me demande ce que sont venus faire des ministres incultes dans ce sanctuaire de l’intelligence ? Mais enfin ! Pour les arts, les lettres, le savoir, il y a les Académies, le Collège de France, il y a les contemporains de Voltaires, de Céline, de Maupassant, de Camus…

Pauvre petit ministre dont la postérité ne passera pas la législature, pauvre petit ministre qui est passé à coté de Khadra sans le voir, sans même lui dire merci pour son histoire !

5 commentaires:

JD a dit…

Ah la la ... Ne soit pas méchant comme ça. Est-ce la Cité de l'Immigration qui est "ratée" ou seulement son inauguration ?

Anonyme a dit…

Bonjour,
je ne pense pas qu'on peut associer Abdelamalek Sayade et Yasmina Khadra ...écrivain sous pseudonyme, mais pas sociologue et intellectuel ......votre association est bizarre , que pourrait dire Yasmina sur l'immigration algérienne si ce n'est de la stigmatiser dans un discours officiel parlant des marginalités et des exclusions...serait-elle incluse et intégrée en Algérie, je ne crois pas ....attention aux apparences de la posture d'écrivain !!!

HYB a dit…

C’est vrai cher anonyme, Sayad est un grand sociologue, Khadra un grand romancier. Point. Rien à voir.
Mon souci en écrivant le billet de ce non-évènement était surtout d’éviter de citer le nom de ce non-ministre, ancien socialiste devenu UMP entre deux tours. Car si je l’avais fait, je pense que vous n’auriez même pas pris la peine de me reprocher une association "contre-nature" avec Abdelmalek Sayad ; vous m’auriez ignoré, et vous auriez eu raison.
Alors, votre indulgence est sollicitée par l’auteur du seul papier sur ce sujet qui omet de citer le nom du petit sinistre qui a tenté de récupérer à des fins politiques la mémoire du grand Sayad.
Merci de m’avoir lu.

l'Autre ...altérité oblige a dit…

je vous lis avec grand plaisir et j'ai compris que vous ne vouliez pas nommer le dit-ministre. C'est très camusien de ne pas nommer l'Autre, l'etranger ne sera jamais nommé que sous des appelations administratives qui servent à une orientation statistique. or, en littérature,ne pas nommer l'Autre est une déformation de l'altérité, c'est une sorte d'amnésie. Dans un discours politique, ne pas nommer "le désigné" est une dialectique sourde destinée à renforcer cette "double absence'' que Sayad a parfaitement étudié ...à chacun donc son Autre ou son Etranger cher Hedy

Yacine a dit…

Bonsoir Hedy,
je découvre ton blog et tes réflexions et ton analyse interssante sur les enjeux politiques de la question migratoire ....je suis tout à fait d'accord l'inauguration a été perturbée donc ratée, dommage pour Sayade, mais avons-nous besoin de fanfares et de médiatisation si importante lorsqu'on veut comprendre un péhénomène sociétal telle que l'immigration ....Sayade de son vivant voulait une politique claire sur l'organisation de cette force et non une politique politisée entre une stratégie électorale et une gestion statistique, enfin, il y a beaucoup à dire... Pour notre brève rencontre avec Khadra, tu le vois trop comme un grand écrivain, c'est ton choix et ta conviction littéraire ...je le trouve très déstabilisé en ce moment surtout à lui rappeler chaque fois que je le rencontre le lien familial...Je n'aime pa les gens qui se repprochent et confirment des non-dits en ayant peur de parler avec les personnes qui les connaissent si bien. J'aime le courage en politique mais la realpolitik de l'Algérie à l'international ...tu connais bien et je ne m'étale pas sur le sujet !
Bravo pour ce blog que j'aimerai bien alimenter de temps en temps, si tu veux bien, sur des sujets qui, souvent, nous intéressent....exister par soi même est le courage de dire oui ou non par soi même disait Marguerite Yourcenar