mercredi 15 mai 2013

Mali, drone de guerre



La campagne du Mali prend les allures d’un affrontement  entre le bloc US/Europe et celui des alliés de la Russie, dont l’Algérie est la principale composante africaine. Elle a pour enjeu les formidables richesses potentielles du Sahel qui imposent le préalable de la sécurisation des accès à l’Atlantique et à la Méditerranée. Enfin, l’influence grandissante de la Chine en Afrique et la perte de contrôle de l’expansion wahhabite sont des motifs supplémentaires à d’édification d’une frontière avancée.
Comme d’habitude la lutte contre le terrorisme a bon dos.

Jusqu’à présent, les populations nomades ou sédentarisées du Sahel étaient sous la coupe bien garnie de la Libye. A la mort de Kadhafi, Alger a tenté sans succès de reprendre la main. Bouteflika (doyen du monde des diplomates) manœuvre à la godille pour maintenir la paix relative dans son pays à dessein de se faire ré-ré-réélire en 2014.  Au plan international, il temporise avec les Américains et les Français en se proclamant champion toutes catégories de la « lutte anti terroriste ». Dés le début de l’intervention française au Mali il a fermé sa frontière, refusant d’être tenté par le diable et de violer la constitution qui interdit à l’ANP de sortir de son territoire. Il ne faut pas oublier que l’armée algérienne est la plus puissante du continent après  celle de (son alliée historique) l’Afrique du Sud et quelle est gardienne de l’unité territoriale que d’aucun aimerait voir éparpiller façon puzzle.
Vue sous cet angle, l’expédition du Mali est une opération concertée qui répond à une logique de stratégie collective rappelant la guerre froide. L’Algérie et la France sont dans leur jeu de rôle : celui du serval et de la souris. Tous deux sont aux avant postes du théâtre diplomatique et militaire. Mais les tireurs de ficelles sont  à Moscou, Pékin et surtout à Washington Les Etats Unis ont en effet une incontestable longueur d’avance car ils sont les seuls à produire en série un système d’arme surclassant tous les autres: le drone d’attaque.
La doctrine «  zéro mort » a conduit l’armée américaine à inventer l’engin volant qui tue à tous les coups sans risque de se faire tuer.
L’appareil sans pilote est capable de roder plus de trente heures d’affilé à quatorze kilomètres d’altitude. A travers la nuit, les nuages, les vents de sable, il voit tout, y compris ce que l’œil humain ne saurait détecter. Ni la crotte de chameau ni la couleur de la barbe du salafiste caché sous la burka ne lui échappent. Des milliers de « big brothers » rodent dans le ciel. Ils sont secrètement basés sur tous les continents et pilotés à distance depuis les Etats Unis par liaisons satellites. Les « Prédator » emportent trois missiles « Hellfire » ou des « Stinger » dont la foudre s’abat sur les cibles désignées. Il n’y a pas de parade au tueur.
C’est l’arme absolue de la terreur qui terrorise les « terroristes ».
Le Predator permet aux Américains de faire à distance la guerre en Afghanistan, Somalie, Yémen, Pakistan. Déjà des milliers de morts sans procès. L’engin est furtif, sa bombe est anonyme et ne laisse aucun signature.
On estime à mille trois cents, le nombre d’appareils en dotation dans les forces armées américaines et la CIA.  Ils surveillent en permanence la planète. Les Italiens, Turcs, Philippins, Marocains, Saoudiens, Emiriens, Egyptiens sont des clients fidèles. De très nombreux pays cherchent à le devenir car l’innovation du drone tactique a révolutionné l’art de la guerre.
Ainsi, en un rien de temps, les USA viennent-ils de déployer  une base opérationnelle à Niamey au Niger. En un tournemain, ils se sont rendus maitre du conflit au Sahel.

Et la France dans tout ça ?
Fidèle à son histoire, elle est en retard d’une guerre.

En  1914 elle ne croyait pas à  la supériorité du char d’assaut sur la cavalerie ; un siècle plus tard elle a commis la même erreur de jugement à propos du drone.
Depuis vingt ans, les ingénieurs de la délégation à l’armement –sans doute très inspirés- se sont reposés sur l’espoir chimérique d’une coopération franco-israélienne qui a coûté cher et fait long feu. Malgré les rapports alarmistes de l’Etat Major et des élus, les ministres successifs  de la défense ont tergiversé. Le dernier vient enfin de décider  deux commandes : l’une aux Américains, l’autre aux Israéliens. Car il ne faut fâcher personne. En attendant la livraison  du matériel – dans des mois et des années - Paris a dépêché pour survoler le théâtre lunaire du Sahel des avions de patrouille maritime adaptés à la traque de sous-marins.  Ces Frégates volantes font (parait-il) merveille et complètent l’observation des satellites Helios dont (à tort) nul ne vante  les formidables performances.

En fait, nous ne savons que ce que veulent bien nous dire les reporters en uniforme.
Le Sahel est une guerre à huit clos. Les seuls « journalistes » autorisés à approcher sont des « embedded » des embarqués agréés qui ont accepté de se laisser influencer et  censurer. Alors pour connaître la réalité, il faut décrypter à la fois l’information rare et la désinformation pléthorique. Elles ont leurs sources dans une trentaine de pays dont Serval est l’avant-garde française. Chacun des coalisés joue son rôle. Les USA, la Grande Bretagne et dans une moindre mesure l’Italie, l’Allemagne et la Belgique fournissent la logistique. Les troupiers de la légion et les forces spéciales françaises sont sur le terrain, elles encadrent les Africains dont deux mille fantassins d’élite de la garde du président tchadien qui sont au contact.
Pour l’instant le bilan est conforme aux prévisions : zéro mort du coté de l’alliance Euro/US, plusieurs coté français, des dizaines coté tchadien et malien, des centaines chez les deux mille barbus de la bande Malboro (surnom attribué au chef salafiste dont l’argent ne provient pas du Qatar ou d’Arabie mais - paraît-il - du trafic de clopinettes à bout filtre).
Dans cette guerre contre le sable et le vent, la France qui promet d’évacuer ses soldats le 1eravril,  dispose d’une arme de reconstruction massive unique, capable de terrasser les forces du mal. Hélas à ce jour elle reste inemployée.
C’est la langue française.
Chaque peuple du Sahel parle un dialecte différent. La langue française, butin inestimable de la colonisation, est le trésor commun qui unit tous les habitants de cette région.  
C’est pourquoi, au sein de l’alliance US/Europe, seules les forces françaises étaient en mesure d’occuper le terrain et d’encadrer les troupes des armées périphériques qui sont toutes pareillement francophones. C’est probablement cet aspect pratique qui a incité Washington à pousser les pioupiou français vers l’aventure. Car malgré sa prodigalité, le wahhabisme est à la peine au sahel  car la langue arabe est difficile d’apprentissage. Portant, les missionnaires salafistes ont prospéré sur les terres abandonnées de l’école française. Tout comme  « l’aide chinoise » a supplanté les crédits de la coopération, les riches apôtres de Quardawi ont chassé ceux de Voltaire. L’opération Serval est un gouffre financier qui dépassera et de loin le budget de la mission culturelle et de la francophonie dans la région. Il est encore temps de faire la révolution du savoir en France-Afrique pour que le sahel  s’affranchisse des hégémonies obscurantistes très intéressées.

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