J’avais emporté une friandise que je
dégustais dans l’avion ; un roman d’espionnage loufoque dont l’action se
déroule en pays « imaginaires » : l’Emirat du Matar et le Royaume
de Wasabie.
L’héroïne de ce thriller hallucinant est une super woman made in USA dont la
mission est de fomenter le soulèvement des femmes chez les wahhabites.
A la tête d’une équipe de branquignoles elle
réussira au-delà de toute espérance avant de se heurter à la conjuration des
intérêts supérieurs des Etats machos conduite par le perfide
« onzième » bureau français.
« Florence d’Arabie » de Christopher
Buckley est la vision à peine caricaturale de la condition inhumaine des
femmes et du rôle amphétaminique des médias.
A lire pour rire, à relire pour apprendre, à
reprendre pour comprendre la désinvolte abdication du « monde
libre ».
A la librairie Clairefontaine, près de l’ancien
lycée Carnot à Tunis, j’ai acheté un concentré de 40 000 ans d’histoire. Un
ouvrage indispensable à tout estivant qui ne veut pas bronzer idiot. A
distribuer aux passagers de Tunis Air.
Habib Boularès n’est pas Michelet, ni Henri Martin
mais son « Histoire de la Tunisie » descriptive et factuelle a la
modestie d’aller à l’essentiel. C’est amplement suffisant pour comprendre que
depuis la nuit des temps le vent des idées de ce petit pays a toujours soufflé
sur le pourtour de la Méditerranée.
Fort heureusement publié après la révolution,
l’auteur a pu se dispenser du chapitre de porte-coton du dictateur. Dommage,
car c’est à la consistance du passé, qu’on mesure l’insignifiant de l’écume
laissée par ces trente dernières années d’autocratie. Cela convient à l’auteur,
historien de talent mais homme politique faible et myope. En 1991,
il était ministre de la défense de Ben Ali lorsque plus de deux
cents officiers et sous-officiers de l’armée furent arbitrairement arrêtés et
torturés. A son insu ! Il n’a rien vu !
En attendant que la mémoire d’Habib
Boularès et la justice éclairent les années de plomb, un martyr authentique, Sami Kourda, a pris la plume pour raconter sa
descente aux enfers « Le complot Barraket Essahel ou Chronique
d’un calvaire », Sud Editions.
Sidi Sami était commandant
dans l’armée tunisienne, le plus brillant, le plus décoré, le plus instruit de
sa génération. Un jour de 1991 le dictateur parano Ben Ali s’invente un complot
de militaires islamistes. Les arrestations se succèdent. «
Non ! Pas moi » Pense le multi diplômé des académies tunisiennes et américaines « Je n’ai
strictement rien à me reprocher ». Il avait tort. Livré à la
police politique, il sera torturé. Son livre est le récit méthodique de ses
souffrances et de celles de ses codétenus. Mais contrairement aux témoignages
habituels du genre, l’homme livre ses terreurs et ses lâchetés. Il craint la
douleur, il espère la mort. On lui demande la liste de ses
complices. Il supplie ses bourreaux : « Aidez-moi,
mettez-moi sur la voie ! » Un
tortionnaire lui souffle la première lettre. La boule de chair cherche
désespérément des noms à livrer. Il avoue tout ce qu’on lui demande,
signe sans même ouvrir les yeux. Enfin on le laisse
gémir. Une nuit, le général-président de la République
fait une ronde pour s’assurer du sanglant de ses ordres.
Ce livre est
un coup de poing à l’estomac qui donne envie de donner l’accolade à son auteur.
Aujourd’hui,
le commandant attend que la République
tunisienne lui accorde justice, que son uniforme lui
soit restitué, ne serait-ce que le temps de saluer le drapeau incliné et de
recevoir une décoration devant un détachement qui lui
rendra les (son) honneurs.
En
contre-champs, un bouquin que j’ai eu tort d’acheter. Alors, je ne vous
livrerai ni le titre, ni l’auteur. Si vous maraudez dans une librairie en
Tunisie, passez votre chemin devant cette couverture sombre et son titre plein
de promesse. Il est écrit par un ancien haut fonctionnaire de police,
entièrement zélé à Ben Ali après avoir été le garde du corps de Bourguiba. On
s’attend à des anecdotes, à des révélations… Que nenni, l’auteur parle de lui,
uniquement de lui. Le commissaire n’a rien vu de l’histoire de son pays, il
était trop occupé à se regarder dans la glace.
Ce n’est pas le cas de Chedli Klibi, ancien
ministre de Bourguiba. Il dresse un court portrait du héros de la
Tunisie tout en finesse. Sans doute le meilleur du genre. C’est sobre,
dépouillé, bien écrit, donc agréable à lire. Admiratif mais jamais flagorneur.
Erudit modeste, Chedli Klibi ne se pousse jamais du col ; ce qui
n’est pas courant dans l’édition tunisienne.
Comme Guillemin disait : « Sur de
Gaulle ? Voyez Lacouture ! », sur Bourguiba, lisez Klibi
« Radioscopie d’un règne »
L’interpellation du meurtrier d’Hedi Chaker est un
souvenir d’enfant, il était à l’avant, mon père conduisait, j’étais
à l’arrière à coté du garde. C’est sans doute pourquoi j’ai lu avec passion
« Cet homme doit mourir » de Taoufik ben Sadok Abdelmoula (Med Ali Editions).
Sfax, deuxième ville de Tunisie est un pays dans le
pays : renfermé, discret, tolérant, généreux, laborieux et surtout
résistant. Les touristes contournent le charme de cette population
intelligente qui n’a jamais cherché à recycler son économie dans les usines à
bronzer. Sfax c’est l’huile d’olive et les amandes, l’industrie
manufacturière, la finance, le commerce ouvert sur le
monde. Sans cette région, la Tunisie serait estropiée.
L’ouvrage d’Abdelmoula relate l’épopée méconnue du
combat des notables de la ville pour obtenir de la France l’indépendance de la
Tunisie au début des années cinquante. Par scrupule, l’auteur prend soin de
prévenir que sa contribution à l’histoire est « romancée » ;
cela ne veut pas dire qu’elle est inventée, mais que la transcription des
dialogues n’est pas rigoureuse car sa naissance tardive ne lui a pas permis
d’en être le témoin direct.
Les témoignages honnêtes sur la décolonisation sont
rares et souvent ennuyeux. C’est pourquoi le livre d’Abdelmoula qui se lit
comme un roman est précieux.
Je n’ai rien acheté cette année à la foire du livre de Tunis où les
salafistes étaient à la fête. Les publications égyptiennes
occupaient le tiers des espaces et les Saoudiens
distribuaient des ouvrages, à la volée (mais sans jeu de mots).
Les éditeurs français n’avaient pas fait le
déplacement. Le marché n’est pas « captif ». Alors la langue
française déserte la Tunisie aux dix millions de locuteurs fauchés
pendant que le Qatar, riche pays sans libraire ni bibliothèque, rejoint
« la grande famille » de l’Organisation Internationale de la
Francophonie.
Et tombent les premières feuilles de
l’automne arabe.
Hélas, elles sont françaises !...
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