mercredi 15 mai 2013

Tunisie: Bouguibamania et sénilocratie



La Tunisie a disparu des écrans radars de l’actualité internationale. Il ne s’y passe plus rien que des banalités, du déjà-vu : des immolés, des femmes violées, des barrages routiers, des grèves de la pauvreté, des cortèges de désespérés, des immigrés noyés… Les causes et les conséquences de la révolution perdurent, on attend la prochaine explosion.

Les hommes politiques surenchérissent dans le surréalisme. La rhétorique marque le pas sur la décision. Durant ce temps mort, le pays subsiste cahin-caha par routine et bon sens. L’administration administre, les services publics contribuent, l’industrie produit, l’agriculture récolte. Hélas, le touriste ne vient plus et le Tunisien aimerait bien partir.
Les gouvernants se chamaillent pour des futilités. Ils sont trop proches des  affairistes de Paris, Londres et Doha, pour ne pas être soupçonnés de travailler pour le lucre. La mise en œuvre du « partenariat » de Deauville depuis mai 2011 révèle un protectorat de la Banque Mondiale et du FMI qui échappe totalement à l’exécutif. La Banque Centrale de Tunisie ne dépend plus du Premier Ministre mais des législateurs. Le pouvoir de son gouverneur,  est considérable. Récemment, il a été reçu par Hollande à l’Elysée, ce qui constitue sans doute une rencontre sans précédent dans les annales de la diplomatie. Le gouvernement islamiste s’en accommode. Il tente de colmater le désespoir des chômeurs par de bonnes paroles qui ne sont plus audibles. Aucun ministre n’est capable de tenir un meeting sans se faire chahuter. Les délégués en province sont barricadés. L’Etat est déconsidéré.
Les islamistes ont commis l’erreur de vouloir s’imposer sur le champ de la morale religieuse où ils n’avaient rien à prouver. Ils ont investi les fonctions de souveraineté où ils ont du mal à s’imposer. Ils ont déserté la lutte contre la misère et les inégalités, laissant l’économie et les finances aux mains de l’ancien régime. Le compromis entre les tenants de la charia et ceux du business a fait long feu.
Le discrédit de la révolution est consommé. Le peuple n’écoute plus, il a compris que les islamistes ne pétriront jamais le pain réclamé par les immolés.
La population prie Allah de lui donner un leader, un sauveur, un homme providentiel.
Des âmes bien intentionnées ont soufflé : « Bourguiba ! Bourguiba !» Depuis, le nom de l’émancipateur de la Tunisie est scandé dans tous les rassemblements. Le Président-à-vie déposé en 1987, décédé en 2000 sera probablement consacré Président-pour-l’éternité lors de la commémoration des cent dix ans de sa naissance en août prochain. Pour l’occasion, l’ancien palais de Skanes a été restauré. Le désormais musée de Bourguiba a été inauguré par le Chef d’Etat Major des Armées car c’est le seul représentant des corps constitués qui ne se fasse pas encore huer. Le « Combattant suprême » n’aurait pas apprécié. Il aurait pareillement toussé que son buste soit inauguré dans un beau quartier de Paris par le seul tandem Delanoe-Dati flanqué de quelques plénipotentiaires et d’une paire d’anciens ministres. De Tunis à Paris,  l’épidémie  gagne le cœur des désemparés. C’est la Bourguibamania. La contagion est savamment nourrie par l’ancien régime dont le dictateur Ben Ali (on l’a oublié) fut le dernier premier ministre du fondateur de la République.
Le plus actif support à la maraboutisation de Bourguiba est un cheval de retour né  en 1926. Le jouvenceau n’est pas une exception. Nombre des leaders de l’opposition sont d’une génération partagée par à peine 6% de la population. Les Tunisiens sont bien élevés. Ils respectent les cheveux blancs, ils laissent les vieux  abuser de leur impunité, ils supportent leur radotage. A tort ils s’abstiennent de leur crier « ya hadj, dégage ! »

Le paradoxe de la révolution tunisienne est générationnel. Le chef du parti islamiste majoritaire, 70 ans, a eu la sagesse de laisser le pouvoir à un quinqua Premier Ministre. Mais le tout puissant gouverneur de la banque centrale, grand maître de l’inflation et du taux de chômage a 80 ans. A l’âge des abus de faiblesse, il vient d’emprunter 1,75 milliard de dollars au FMI !
On ne fait pas du neuf avec du vieux. Mohamed Bouaziz ne s’est pas immolé à 26 ans pour que des gérontocrates s’installent au pouvoir.
Dans un excellent article publié il y a quelques années, le futur Président de la République Tunisienne nous interpelait: « La Présidence à vie est-elle une fatalité arabe ? »
En actualisant sa réflexion : « La sénilocratie est-elle une fatalité tunisienne ? » le docteur Moncef Marzouki sortirait grandit de l’Histoire des Arabes.

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