La Tunisie a disparu des écrans radars de
l’actualité internationale. Il ne s’y passe plus rien que des banalités, du
déjà-vu : des immolés, des femmes violées, des barrages routiers, des
grèves de la pauvreté, des cortèges de désespérés, des immigrés noyés… Les causes
et les conséquences de la révolution perdurent, on attend la prochaine
explosion.
Les hommes politiques surenchérissent dans le
surréalisme. La rhétorique marque le pas sur la décision. Durant ce temps mort,
le pays subsiste cahin-caha par routine et bon sens. L’administration
administre, les services publics contribuent, l’industrie produit,
l’agriculture récolte. Hélas, le touriste ne vient plus et le Tunisien aimerait
bien partir.
Les gouvernants se chamaillent pour des futilités.
Ils sont trop proches des affairistes de Paris, Londres et Doha,
pour ne pas être soupçonnés de travailler pour le
lucre. La mise en œuvre du « partenariat » de Deauville depuis mai
2011 révèle un protectorat de la Banque Mondiale et du FMI qui échappe
totalement à l’exécutif. La Banque Centrale de Tunisie ne dépend plus du
Premier Ministre mais des législateurs. Le pouvoir de son
gouverneur, est considérable. Récemment, il a été reçu par Hollande
à l’Elysée, ce qui constitue sans doute une rencontre sans précédent dans les annales de la diplomatie. Le gouvernement
islamiste s’en accommode. Il tente de colmater le désespoir des chômeurs par de
bonnes paroles qui ne sont plus audibles.
Aucun ministre n’est capable de tenir un meeting sans se faire chahuter. Les
délégués en province sont barricadés. L’Etat est déconsidéré.
Les islamistes ont commis l’erreur de vouloir
s’imposer sur le champ de la morale religieuse où ils n’avaient rien à prouver.
Ils ont investi les fonctions de souveraineté où ils ont du mal à s’imposer. Ils
ont déserté la lutte contre la misère et les inégalités, laissant l’économie et
les finances aux mains de l’ancien régime. Le compromis entre les tenants de la
charia et ceux du business a fait long feu.
Le discrédit
de la révolution est consommé. Le peuple n’écoute plus, il a compris que les
islamistes ne pétriront jamais le pain réclamé par les immolés.
La
population prie Allah de lui donner un leader, un sauveur, un homme
providentiel.
Des âmes
bien intentionnées ont soufflé : « Bourguiba ! Bourguiba !»
Depuis, le nom de l’émancipateur de la Tunisie est scandé dans tous les
rassemblements. Le Président-à-vie déposé en 1987, décédé en 2000 sera
probablement consacré Président-pour-l’éternité lors de la commémoration des
cent dix ans de sa naissance en août prochain. Pour l’occasion, l’ancien palais
de Skanes a été restauré. Le désormais musée de Bourguiba a été inauguré par le
Chef d’Etat Major des Armées car c’est le seul représentant des corps
constitués qui ne se fasse pas encore huer. Le « Combattant suprême »
n’aurait pas apprécié. Il aurait pareillement toussé que son buste soit
inauguré dans un beau quartier de Paris par le seul tandem Delanoe-Dati flanqué
de quelques plénipotentiaires et d’une paire d’anciens ministres. De Tunis à
Paris, l’épidémie gagne le cœur des désemparés. C’est la
Bourguibamania. La contagion est savamment nourrie par l’ancien régime dont le
dictateur Ben Ali (on l’a oublié) fut le dernier premier
ministre du fondateur de la République.
Le plus actif support à la maraboutisation de
Bourguiba est un cheval de retour né en 1926. Le jouvenceau n’est
pas une exception. Nombre des leaders de l’opposition sont d’une génération
partagée par à peine 6% de la population. Les Tunisiens sont bien élevés. Ils respectent les cheveux blancs, ils
laissent les vieux abuser de leur impunité, ils supportent leur
radotage. A tort ils s’abstiennent de leur crier « ya hadj,
dégage ! »
Le paradoxe
de la révolution tunisienne est générationnel. Le chef du parti islamiste
majoritaire, 70 ans, a eu la sagesse de laisser le pouvoir à un quinqua Premier
Ministre. Mais le tout puissant gouverneur de la banque centrale, grand maître
de l’inflation et du taux de chômage a 80 ans. A l’âge des abus de faiblesse,
il vient d’emprunter 1,75 milliard de dollars au FMI !
On ne fait
pas du neuf avec du vieux. Mohamed Bouaziz ne s’est pas immolé à 26 ans pour
que des gérontocrates s’installent au pouvoir.
Dans un excellent article publié il y a quelques
années, le futur Président de la République Tunisienne nous interpelait:
« La Présidence à vie est-elle une fatalité arabe ? »
En actualisant sa réflexion : « La
sénilocratie est-elle une fatalité tunisienne ? » le docteur Moncef
Marzouki sortirait grandit de l’Histoire des Arabes.
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