A Tunis, un homme est tombé. Alors pour vivre, le
peuple de Chebbi tout entier s’est levé.
Belaïd l’assassiné était un leader politique dont
la sincérité de l’engagement contrastait avec les parvenus de la révolution.
Tribun hors pair, avocat militant, c’était une graine de zaïm dont le sacrifice
sauvera peut-être la Tunisie de la peste fasciste.
Le jour de son enterrement, le ciel était gris, un
orage avait tonné le tocsin, la pluie en rafale avait lavé la ville.
Un pâle rayon de soleil a suivi le cortège porté par cent mille hommes
rugissant de colère. Tout à coup, le silence. L’appel de la prière. Le linceul
immaculé est déposé dans la fosse blanchie à la chaux. Allah yarhamouhou !
La Tunisie en grève était recueillie devant les
postes de télévision. Le ministre de la défense et le chef d’Etat major, les
seuls représentants de l’Etat ne parviendront pas à fendre la foule mais chacun
aura noté leur présence singulière ainsi que celle de deux soldats encadrant le
catafalque du martyr.
Un symbole fort.
Car ce n’est
pas le moindre des paradoxes que cette cohabitation des démocrates
progressistes et de l’armée. Le sacrifice de Chokri Belaïd a peut-être sauvé la
Tunisie de la tentation totalitaire car depuis qu’une balle perdue s’est fichée
dans son pied, Ennahdha le parti au pouvoir, sait que tout nouvel attentat
pourrait bien ouvrir la porte des casernes.
Au pays du verbe, la grande muette restée dans l’ombre
de la révolution demeure un mystère.
Ben Ali , Général-flic et mouton noir a persécuté
et humilié des centaines d’officiers. Ils n’ont pas bronché. Mal payés mais pas
gangrénés par la corruption. La plupart des hauts gradés sortent des
écoles de guerre françaises et américaines. Ils ont à leur tour formés tous les
cadres subalternes et les sous-officiers dans les académies tunisiennes. Les
islamistes qui manœuvrent pour les déstabiliser ou les noyauter se sont
toujours cassé les dents. L’actuel ministre de la défense nommé par le
gouvernement islamiste est un brillant chercheur en médecine qui n’a donné
aucun signe de partialité. Le Chef d’Etat Major des armées est un héros de la
révolution.
La petite armée tunisienne de trente cinq mille
hommes - soit environ vingt mille soldats opérationnels - est
« formatée » républicaine. Elle incarne le peuple dans ses plus
profondes racines car la troupe est constituée de conscrits par
nécessité : des sans soutien, sans piston, sans salaire, des damnés de la
terre pour qui l’uniforme est un refuge de dignité et la gamelle quotidienne
assurée.
Ben Ali avait condamné les officiers au silence.
Toute rencontre avec un « civil » ou un gradé d’une arme différente
était suspectée d’intelligence. Les taiseux résignés n’en pensaient par moins.
C’est sans doute pourquoi, à l’heure du choix, ils ont donné le petit coup de
pouce décisif pour expédier le dictateur en Arabie.
Mais l’armée est une faible force, comparée aux
effectifs de la police et de la garde nationale dont le nombre estimé
dépasserait les cent mille hommes sans compter les indicateurs et
supplétifs. Or, nul ne sait comment la toute puissante sureté nationale a
évolué depuis la chute du dictateur ? Sa soumission complète aux
islamistes est incertaine alors que son hostilité aux hommes de gauche est
avérée. Le « clientélisme » encouragé par tous les gouvernements a
fabriqué un ensemble hétérogène incapable de prendre une initiative et de
coordonner une opération autonome. L’incroyable assaut de l’ambassade des Etats-Unis
en septembre 2012 prouve son absence de discernement. De plus, le pouvoir
tunisien vient de s’aliéner la traditionnelle coopération avec le ministère
français de l’intérieur en s’indignant bruyamment contre la formule de Valls
sur « le fascisme islamiste ».
Pourtant, à l’évidence, l’aile radicale du parti
Ennahdha est coupable d’indulgence complice avec les salafistes et les
benalistes.
Au plan international, jamais le pouvoir tunisien
n’aura été autant isolé.
Boudé par
Paris et Washington, seules quelques capitales de second rang par opportunisme
économique fréquentent encore le pouvoir islamiste. Le Qatar et l’Arabie se
montrent discrets depuis le coup de semonce de la France au Sahel interprété
comme la fin de la complaisance internationale pour l’idéologie wahhabite
subitement devenue encombrante et inutile au Maghreb.
Le Commandant des Etats Unis pour l’Afrique le
Général Ham avait prédit il y a quelques mois que l’irruption du volcan Nord
Mali projetterait des cendres incandescentes dans toute la région.
Les interventions françaises en Libye puis au Mali
sont-elles les premières notes d’une symphonie d’interventions
postcoloniales concertées ? Qui arme et manipule les trois mille
marionnettes jihadistes du Sahel ? Qui est derrière l’attaque d’In
Amenas ? Qui a téléguidé les tueurs de Chokri Belaïd ? Le saura-t-on
jamais ?
La Tunisie
n’est pas seulement le laboratoire de la démocratie musulmane in vitro, elle
est aussi l’une des cartes de la recomposition d’un nouvel ordre arabe au nord du Greater
Middle East dont rêve le monde libre. C’est pourquoi il faudra que les tunisiens puisent dans la sagesse des anciens pour
résister aux convoitises et cautériser l’hémorragie qui menace.
Et c’est
ainsi qu’Allah sera grand !...
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