Plage de la Marsa. Le soleil fait la grasse matinée.
La mer chuchote deux ou trois petites vagues pour distraire les ripatons d’un
couple d’amoureux assis sur le rivage. Plus loin une imposante Belphégor
couverte de tissu noir entraine vers le bain un garçonnet apeuré qui
pousse des cris de détresse. Un Monsieur ventripotent arpente la plage d’un pas
pressé, l’air important comme si le sable était le sien. Il croise un
maigrichon à casquette poussant un vélo rouillé. Une jolie fille en bikini, de
l’eau jusqu’aux genoux marche en levant la jambe. Un vilain chien jaune la suit
en aboyant. Il est neuf heures, le plagiste se réveille et branche la sono. Une
suave mélopée libanaise couvre le clapotis des vagues.
Sur le sable humide mes enfants jouent à forer des
trous : les puits de la révolution, sitôt creusés sitôt effondrés. Mon
esprit divague. Le lieu s’y prête. Je pense aux propos que je
pourrais tenir à un aréopage d’investisseurs internationaux.
Ne craignez pas les barbus ! Ils sont vos alliés
objectifs…. !
Les plus radicaux d’entre eux n’ont jamais envisagé de
nationalisations des banques ! Certes, ils sont capables de détruire des
chefs d’œuvres de l’art antique au Mali ou en Afghanistan, mais ils ne
s’attaqueront jamais au mur des lamentations ni à celui de l’argent !
La charia c’est l’assurance tous risque qui protège le
capital, la propriété, la liberté du commerce et l’exploitation de l’homme par
l’homme.
Observez les indicateurs des Etats musulmans :
forte croissance, faible fiscalité, forte corruption, faible redistribution.
Les pauvres y sont de plus en plus nombreux, les riches y sont de plus en plus
riches. « Mektoub, c’est la volonté d’Allah ! »
L’islamisme Arabe c’est le capitalisme à l’état pur,
dépouillé de la démocratie et des droits de l’homme.
L’Arabie Saoudite est l’étalon suprême, le Qatar est
la version actualisée.
Ici, le laboratoire tunisien expérimente à dose
homéopathique le modèle démocratique Canada Dry qui a fait ses preuves en Asie
notamment en Turquie, Indonésie et Malaisie.
Le parti Ennahdha est en train de mettre en œuvre par
petites touches un ordre religieux qui
prévaudra sur le droit des hommes et un droit des hommes qui prévaudra sur
celui des femmes. Quelques concessions seront faites aux séculiers libéraux-de-gauche
car ils ne représentent pas une menace sérieuse pour la majorité du parti de
Dieu.
Le nouveau pouvoir entend bien conserver l’arsenal
juridique si bien rôdé par Ben Ali. En particulier, toutes les lois pénales qui
permettent de mettre un quidam en prison au motif qu’il aurait toussé trop
fort. Déjà, en cette période d’entre chien et loup, des blogueurs, des poètes,
des buveurs, des dragueurs, des humoristes, des artistes, et autres empêcheurs
de tourner en rond ont été embastillés. Même la maman du héros national Mohamed
Bouaziz s’est retrouvée au trou ! La police a fait son travail. La
magistrature a appliqué les textes. Les militants des droits de l’Homme ont été
reçus avec déférence par un membre respectable du gouvernement qui s’est
drapé des vertus de Montesquieu sur la séparation des pouvoirs. Il y a trois
ans ce ministre était en prison, la même délégation de militants était venue
chez son prédécesseur pour plaider sa
cause… elle avait entendu le même discours !
Michel Jobert, brillant ministre français des affaires
étrangères observait au siècle dernier, que l’islamiste était un
luxe que seuls les pays riches peuvent se permettre. Pourtant, le parti
Ennahdha a décidé de l’offrir à la Tunisie. Comment ? Mais en hypothéquant
la révolution à Wall Street et en appliquant un business plan ultra libéral et
hallal pardi !
Le pays dispose d’actifs négociables. Des
infrastructures territoriales modernes (eau, électricité, routes, ports,
aéroports) un maillage de services publics performant (écoles, universités
hôpitaux) un tissu industriel compétitif (pétrochimie, textile, mécanique,
tourisme, informatique…) Enfin et surtout, la population est aussi bien formée
que mal payée. Le régime « provisoire » postrévolutionnaire l’a
dissuade de toute nouvelles velléités : « journalier, ouvrier,
employé, chômeur, tu auras beau crier, menacer, t’immoler ; ça ne servira
à rien. Le guichet de la révolution est fermé. On veut bien discuter de
tout : de la femme, du drapeau, de l’amnistie, de la constitution, des
balles en caoutchouc….mais d’économie sociale, de hausse des salaires, de
redistribution des richesses, de participation,
d’autogestion….NON ! »
La nouvelle classe politique au pouvoir qui a
longtemps souffert d’inconfort est avide, elle veut s’enrichir. Alors, dans les
belles villas qui surplombent la baie de Sidi Bou Saïd quelques intermédiaires
s’y emploient. Les contrats de représentation signés entre les multinationales
et le clan Ben Ali ayant été dénoncés pour cause de force majeure des
opportunités juteuses sont à saisir car la nature des affaires a horreur du
vide.
Pour satisfaire les appétits et « relancer la
croissance » un grand mouvement de privatisation est programmé. Après le
téléphone, les sociétés nationales de l’eau et de l’électricité sont des
pépites hautement convoitées. Il y a aussi les transports, la santé, les
domaines forestiers, les terres, le désert…Oui le désert tunisien dont
l’énergie solaire produira de l’électricité à l’Europe dans moins de dix ans.
Les sites archéologiques seront-ils concédés ? Le Colisée romain d’El Djem
intéresse l’industrie des parcs à thème. L’île de Zembra est promise aux
Chinois, mais les Qataris font monter l’enchère ! Même les ordures
ménagères font rêver les opérateurs privés. La Tunisie est devenue une vaste
déchetterie à ciel ouvert que le tourisme ne tardera pas à fuir si rien n’est
fait. En attendant Véolia, l’Etat tunisien depuis dix ans, faire semblant
d’agir en distribuant des ballets de branchage aux éboueurs.
Mais le secteur le plus prometteur de cash est celui
de l’immobilier pour le troisième âge européen.
De tout le bassin méditerranéen, le tunisien est le
moins cher. A mille euros le mètre carré, vous foulez le marbre de votre salon
en regardant la mer. Rapport qualité/prix imbattable. La marina d’Hammamet est
dix fois plus abordable que la Grande Motte ! Pour le prix d’une cabane de
cantonnier dans le Lubéron vous pouvez acquérir un diar de rêve dans la Médina
de Tunis ou de Bizerte. Sur la futur Riviera du Jasmin, des zones entières de
paradis vierges attendent qu’enfin, les promoteurs-bétonneurs de
tous les pays s’unissent.
Gens d’expérience et de sagesse les retraités français
l’ont compris. Ils s’installent en Tunisie par milliers. Ils y sont encouragés
par une convention fiscale franco-tunisienne signée il y a cinq ans qui leur
permet de bénéficier d’un abattement d’impôt de 80% sur leur pension. Oui, vous
avez bien lu quatre vingt pour cent.
A
ce tarif, même Jeannine a accepté de porter le voile !
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