Les "Feuilles
d’Automne" écrites par Hédi Mabrouk et publiées post-mortem par son fils
Samy sont fanées. Elles forment un petit tas de souvenirs que le vent léger
(nisma) de Tunis dispersera avec ce billet écrit en reconnaissance de l’envoi
et de son amicale dédicace.
Hélas, le
dernier grand diplomate des relations franco-tunisiennes n’aura pas
vécu jusqu’au printemps tunisien. Aurait-il fustigé et flagorné différemment
s’il n’avait pas senti le regard de Ben Ali sur son épaule au moment où il
rédigeait ses mémoires ? Se savait-il espionné ? Il est dommage que
le destin ne lui ait pas permis de vivre la révolution tunisienne, de voir Moncef
Marzouki succéder à Habib Bourguiba après trente deux ans de
médiocrité, il aurait alors publié des pages autrement sucrées.
Qu’il repose en paix. Allah yarhamouhou.
Le recueil
présente l’intérêt littéraire d’un temps désuet. Les lignes sont ciselées à la
plume Sergent-major trempée tantôt dans du miel de jasmin tantôt dans du venin.
L’auteur était exercé. Il avait pour habitude de s’isoler chaque jour après
déjeuner pour s’accouder au Larousse et s’adonner avec gourmandise, au plaisir
de l’écriture. L’ambassadeur aimait le joli verbe, l’adjectif qui pétille, la
formule élégante et alambiquée, les jeux de mots et les expressions à double
sens. Ses poulets étaient brefs, une dizaine de lignes d’une écriture fine et
soignée, à l’encre bleue
ou verte. Le compliment emphatique, la pointe d’humour ou de
condescendance faisaient pâmer d’aise les comtesses et les petits
marquis de la République Française qui recevaient le
porteur du billet accompagné d’un bouquet de fleurs, d’un coffret de dates
ou d’un flacon de vin fin.
Le doyen des ambassadeurs arabes à Paris était un français charmant de bonne manière. Les briks et le couscous de sa résidence étaient courus. Il s’y pressait des académiciens, des artistes, des généraux, des provinciaux, des bijoutiers, des journalistes, des couturiers et des politiques…exclusivement de droite bien sûr !
Le doyen des ambassadeurs arabes à Paris était un français charmant de bonne manière. Les briks et le couscous de sa résidence étaient courus. Il s’y pressait des académiciens, des artistes, des généraux, des provinciaux, des bijoutiers, des journalistes, des couturiers et des politiques…exclusivement de droite bien sûr !
En mai 1981,
patatrac, la gauche prend le pouvoir. L’ambassadeur sentant la fin de sa
mission prochaine, « eut l’idée » d’inviter tous les nouveaux membres
des cabinets ministériels natifs
de Tunisie et d’Afrique du Nord. Ils étaient une centaine. Aucun ne sut résister au bristol de l’ambassadeur. Le méchoui fut très réussi. Même le jeune Jacques Attali était là. On
était entre soi ! Mabrouk se faisait des amis socialistes. A Tunis, même ses
détracteurs et les envieux saluèrent la performance diplomatique de l’artiste.
Mais, on s’en doute, l’homme n’était pas seul. Dans l’ombre, des fidèles se dévouaient. A sens unique, car ils savaient que leur perte d’influence leur vaudrait un jour le dos du diplomate qui trouverait opportunément une fausse querelle pour casser l’amitié d’apparence. Les hommes adroits sont parfois de petit courage. L’ambassadeur redoutait l’imprévisible, il craignait l’épreuve de la violence à laquelle les caciques tout comme les opposants du régime de Bourguiba s’exposaient. C’est sans doute par prudence excessive que les mémoires sélectives de Hédi Mabrouk oublient de citer ses parrains, notamment Edgar Faure, monument de l’histoire franco-tunisienne. Elles occultent aussi les collaborateurs et les comparses dévoués: Férid Maherzi, Albert Ghanem, le regretté truculent Claude Zitoun et tant d’autres…
Mais, on s’en doute, l’homme n’était pas seul. Dans l’ombre, des fidèles se dévouaient. A sens unique, car ils savaient que leur perte d’influence leur vaudrait un jour le dos du diplomate qui trouverait opportunément une fausse querelle pour casser l’amitié d’apparence. Les hommes adroits sont parfois de petit courage. L’ambassadeur redoutait l’imprévisible, il craignait l’épreuve de la violence à laquelle les caciques tout comme les opposants du régime de Bourguiba s’exposaient. C’est sans doute par prudence excessive que les mémoires sélectives de Hédi Mabrouk oublient de citer ses parrains, notamment Edgar Faure, monument de l’histoire franco-tunisienne. Elles occultent aussi les collaborateurs et les comparses dévoués: Férid Maherzi, Albert Ghanem, le regretté truculent Claude Zitoun et tant d’autres…
L’ambassadeur
de Tunisie à Paris en bon voyagiste avait réussi le tour de force d’attirer
l’ensemble de la classe politique française vers la destination du soleil. Il
fut le diplomate de la cohabitation franco-française et le plus
efficace rabibocheur des querelles parisiennes. Au Sahara Palace de Nefta les
rencontres entre frères ennemis n’étaient pas fortuites. L’auteur
raconte la complicité joyeuse de Jacques Chirac et Pierre Bérégovoy.
A Tunis, en
cet automne 1987, la fin de la présidence à vie de
Bourguiba était une question de semaine. Mabrouk, nourrissait lui aussi
l’ambition suprême. Il voulut devenir le directeur de cabinet du vieux Chef de l’Etat.
Ben Ali alors Premier Ministre, en rival avisé le détourna vers les affaires
étrangères. L’ambassadeur quitta Paris pour ce ministère avec l’espoir d’un
dessein national vers lequel l’encourageait son ami Chirac devenu Premier
Ministre. A l’Elysée Mitterrand était insensible aux charmes de Zarzis et
Hammamet. Contrairement à son neveu, il ne prisait ni la Tunisie, ni
les Tunisiens. Il avait laissé à son conseiller en charge des chasses
présidentielles le soin d’intriguer avec le futur dictateur.
Hédi Mabrouk faisait-il partie des soixante cinq
conjurés de Ben Ali ? C’est improbable mais vraisemblable. Son dévouement
pour Bourguiba avait basculé le jour où le Président l’avait traité de
« dahhak » (rigolo).
Etait-il informé du coup d’Etat trois jours avant
sa proclamation officielle le 7 novembre 1987 ? C’est confirmé puisqu’il
affirme le contraire.
On pardonnera au
défunt diplomate d’avoir mitonné le passé à la sauce de
sa mémoire sélective. Il inverse les rôles pour s’attribuer les meilleurs,
s’attarde sur des anecdotes, gomme ou transfuge des faits importants,
s’affranchit - peut-être involontairement - de toute analyse.
Il est dommage que des épisodes majeurs soient escamotés comme celui du
bombardement israélien du 1er octobre 1985 sur la Tunisie et de
la détermination de Bourguiba pour faire condamner l’entité sioniste par
l’ONU. Mais le mérite de l’ouvrage est surtout de nous faire revivre
la haute administration tunisienne d’antan, exotique, mondaine, soumise,
parée de l’auréole de l’accréditation de Bourguiba. Il faut pour cette
raison lire ce petit ouvrage.
A de rares
exceptions – Ben Salah, Masmoudi, Ladgham, Sayah, Mestiri, Nouira,
Moalla - aucun des mandarins de Bourguiba n’avait de convictions
politiques affirmées ni de vision pour la Tunisie. Leur énergie était tout
entière consacrée à courtiser le maître, son épouse et les présumés dauphins. Hédi Mabrouk était l’un d’entre eux, intelligent, brillant,
charmeur ; un homme de l’ombre qui dissimulait ses secrets derrière des
bavardages de branquignolles. Existe-t-il dans quelque coffre des feuilles plus
consistantes ? C’est en tout cas ce que laisse entendre son fils Samy qui
promet de les verser aux archives nationales.
Et sur
facebook ?
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