Si Mahmoud
est né en juin 1918 à Tunis, de Mohamed, fils de M’Hamed ben Ahmed
Belhassine El Kefi El Ghomari. L’officier d’Etat civil de la
Régence, Monsieur Pierre Choubert reçut la déclaration de l’heureux père fonctionnaire du
contentieux, dont l’épouse Lella Jeneina, fille de Mohamed Temimi lui avait
déjà donné deux enfants : Chedli et Chamaa. Les Belhassine étaient une
famille de législateurs malékites originaire de la ville du Kef dont l’aïeul
avait succédé au célèbre Sidi Brahim Riahi, Mufti de Tunis.
Les études du jeune garçon à l’école coranique puis
au collège Sadiki seront endeuillées par la disparition de son frère et de sa
sœur que consolera la naissance d’Habib.
Quelques jours avant de partir l’adolescent se fait
photographier avec ses amis. Le plus jeune porte une ardoise avec
cette inscription : « vive l’espérance ».
Message à double sens car l’Esperance est un club de football mais celui qui l’arbore est Jean Habib Bourguiba, le fils du Secrétaire Général du parti du Destour que le pouvoir de la France coloniale vient d’exiler dans le sinistre bagne de Borj-Le Bœuf.
Message à double sens car l’Esperance est un club de football mais celui qui l’arbore est Jean Habib Bourguiba, le fils du Secrétaire Général du parti du Destour que le pouvoir de la France coloniale vient d’exiler dans le sinistre bagne de Borj-Le Bœuf.
Avec la photo de ses parents, le cliché de quittera
jamais le portefeuille de Si Mahmoud.
A Cahors puis à Toulouse, les hivers sont froids.
Le pensionnat est rude. Le correspondant de l’interne, un étudiant de Bab
Souika ami de la famille vient le sortir une fois par mois pour une promenade
en ville. L’oncle de Tunis pourvoie chichement
aux besoins de l’élève et du trajet en bateau depuis Marseille une fois l’an.
Bac en poche, il court s’inscrire à la Sorbonne et s’installe en banlieue parisienne où on lui offre un emploi de pion.
Bac en poche, il court s’inscrire à la Sorbonne et s’installe en banlieue parisienne où on lui offre un emploi de pion.
La guerre qui vient d’éclater le fixe à
Rambouillet. C’est là que sa vie d’adulte commence, c’est là qu’elle s’achèvera
soixante dix ans plus tard.
Il y rencontre l’amour de son épouse Madeleine Sèvre, à laquelle il restera fidèle jusqu’au dernier souffle. Il fait l’apprentissage de la résistance, de la prison comme otage des Allemands. Il côtoie les héros anonymes, les collabos, les patriotes de la dernière heure. Son statut de Tunisien le met à l’abri de la déportation. Pour gagner sa vie, il enseigne aux Langues O et passe avec succès le concours de rédacteur au Ministère de la production industrielle.
Il y rencontre l’amour de son épouse Madeleine Sèvre, à laquelle il restera fidèle jusqu’au dernier souffle. Il fait l’apprentissage de la résistance, de la prison comme otage des Allemands. Il côtoie les héros anonymes, les collabos, les patriotes de la dernière heure. Son statut de Tunisien le met à l’abri de la déportation. Pour gagner sa vie, il enseigne aux Langues O et passe avec succès le concours de rédacteur au Ministère de la production industrielle.
En 1944, les Allemands sont chassés. Les blindés de
Leclerc qui depuis l’oasis de Koufra foncent vers Paris font halte à
Rambouillet. Le lendemain la capitale est libérée. Le jeune Tunisien est dans la mêlée, il est
propulsé au cabinet du nouveau ministre de l’Industrie.
En 1946, le voila délégué à la reconstruction
d’Evreux, fief de Pierre Mendes France. Puis délégué régional à Rouen, enfin
responsable de 17 départements…Les promotions sont rapides car la France manque d’hommes et le jeune Tunisien talentueux est membre de l’organisation des
fonctionnaires résistants qui a noyauté l’administration et saboté les ordres
de Vichy.
Comme
tous les patriotes tunisiens de l’époque, il croit que la France libre
reconnaissante accordera à son tour la liberté à la Tunisie. Hélas, ceci
prendra du temps. Plus de dix ans de lutte sous des formes diverses. Parfois violentes en Tunisie, souvent diplomatiques et secrètes en France.
L’Histoire glorifie à juste raison la première et méconnaît la seconde.
L’Histoire glorifie à juste raison la première et méconnaît la seconde.
Si Mahmoud participe à la création de
France-Tunisie. Ses contacts avec l’entourage de Bourguiba deviennent
permanents. Bel, c’est son pseudonyme depuis la guerre, est un des relais de la
politique des petits pas annoncée
par le leader tunisien. A Paris, tenants et opposants de la décolonisation
s’affrontent. La position du jeune fonctionnaire tunisien influent
devient délicate dans son rôle d’intermédiation.
Périllier, Chenik, Ben Youssef, Belhassine (en retrait) Bdra,Saadallah |
Il est alors nommé chef
de cabinet du Préfet-inspecteur Général des départements et territoires
d’Outre-Mer. Tous deux préparent le retour de Bourguiba. Aux critiques de
l’opposition qu’un Tunisien puisse se voir
confier des « fonctions d’autorité », un avis du Conseil d’Etat
répond que la Tunisie fait partie de l’Union Française.
A
Rambouillet, la maison ne désemplit pas.
Les ministres du Bey arrivent en grosses voitures, les bourguibiens viennent en
train. Tous ont table ouverte. Le pavillon de meulière de la rue Ferdinand
Dreyfus se transforme en chancellerie. On y voit défiler de futures célébrités dont une mystérieuse
dame, (Wassila Ben Ammar future épouse de Bourguiba en1962) qui se fait alors appeler Mme Rose. Pendant ce temps, en Tunisie, on renverse
des bus, des fellagas font le coup de feu et la une des journaux.
Le 1er juin 1955, Bourguiba rentre
triomphalement en Tunisie après que Mendes France et Edgar
Faure aient accordé l’autonomie interne à la Tunisie.
Trois mois plus tard, Si Mahmoud abandonne sa
carrière parisienne et rejoint un poste de Kahia à Gabès dans le sud tunisien.
Le 20 mars 1956 l’indépendance est proclamée.
Bourguiba devient premier ministre du Bey. Son pouvoir est fragile car partagé.
Il est notamment menacé par les partisans armés de son rival Ben Youssef qui restent
actifs dans la région de Sfax, chez les Mthaliths de Jebeniana.
Mahmoud Belhassine y est nommé délégué en juillet
1956.
La nuit les coups de feu claquent. Cinq spahis armés de sabres et trois gardes nationaux avec pistolets et mousquetons sont chargés de maintenir l’ordre. La famille a quitté définitivement le confort de Rambouillet. Madeleine Belhassine est devenue institutrice d’une classe de soixante élèves. Rien que des garçons, tous le crane rasé pour se protéger de la teigne. A l’entrée de l’école, on leur met de la pommade dans les yeux pour prévenir le trachome. Les mômes sont en loques, quelques uns seulement ont des sandales. Pas de livres, ni cahiers. Une ardoise et un bout de craie. Harissa, huile et galette d’orge matin et soir.
Un emprunt national a été lancé. L’élan de solidarité est incroyable, toutes les bédouines donnent leurs bijoux. Jamais les tunisiens n’auront été autant solidaires.
La nuit les coups de feu claquent. Cinq spahis armés de sabres et trois gardes nationaux avec pistolets et mousquetons sont chargés de maintenir l’ordre. La famille a quitté définitivement le confort de Rambouillet. Madeleine Belhassine est devenue institutrice d’une classe de soixante élèves. Rien que des garçons, tous le crane rasé pour se protéger de la teigne. A l’entrée de l’école, on leur met de la pommade dans les yeux pour prévenir le trachome. Les mômes sont en loques, quelques uns seulement ont des sandales. Pas de livres, ni cahiers. Une ardoise et un bout de craie. Harissa, huile et galette d’orge matin et soir.
Un emprunt national a été lancé. L’élan de solidarité est incroyable, toutes les bédouines donnent leurs bijoux. Jamais les tunisiens n’auront été autant solidaires.
En 1958 le Président de la République fait halte
dans Jebeniana pavoisé. Le fils ainé du délégué lui récite un verset du Coran
avec l’accent parisien pendant que Mathilde Bourguiba
visite le jardin.
Si Mahmoud est nommé à Tozeur, ville du grand poète
Chabbi dont les héritiers sont restés frondeurs. La jolie palmeraie est perdue au bout d’une méchante piste de sable à cent kilomètres
de Gafsa. C’est un point chaud à tous les points de vue.
L’année suivante, il devient gouverneur, c’est à
l’époque une fonction considérable équivalente à celle de vice-roi. Les treize
gouverneurs de la République sont les représentants personnels du chef de
l’Etat à qui ils rendent compte exclusivement. Ils sont investis de tous les
pouvoirs.
Si Mahmoud est nommé à Gafsa, région minière
revendicative où des dizaines de milliers de réfugiés et de combattants
algériens ont élu domicile. L’aviation française survole chaque jour les
montagnes à la frontière toute proche. La nuit, les éclairs et le tonnerre ;des
obus au loin interpellent la solidarité des Tunisiens.
Avec l’indépendance de l’Algérie en 1962, Gafsa retrouve sa quiétude de ville
de garnison. La fille du gouverneur rencontre un jeune lieutenant dont elle deviendra l’épouse.
En 1964, Si Mahmoud est rappelé au confort bien mérité de la
vie tunisoise. Il est chargé de créer l’industrie du textile. Pendant quatre
ans à la tête de l’office national il assurera le développement de ce qui
deviendra l’un des secteurs clés de l’économie.
Mais l’énergie de l’ancien gouverneur bouscule les cercles du pouvoir. On tente de
le saper sans succès. Toutes les cabales contre « l’homme de la
France » échouent.
Pourtant Bourguiba est un ogre, en trente ans, tous les hommes de pouvoir (à de très rares exceptions) ont valsé. Mahmoud Belhassine, aux fonctions toujours discrètes est resté. Au fil des années, cette posture a fait de lui l’un des personnages les plus courtisés. Tous les hommes d’affaires s’y sont essayés. Las, Si Mahmoud, tout comme Bourguiba, méprisait l’argent.
Pour gagner les faveurs de son protecteur, la plupart des politiciens le flagornait outrageusement. Lui en riait. Il donnait du « patron » au plus mielleux de ses courtisans. Il savait toutes les turpitudes de chacun mais ne le laissait jamais à penser. L’homme de l’ombre ne se livrait qu’au Président.
Pourtant Bourguiba est un ogre, en trente ans, tous les hommes de pouvoir (à de très rares exceptions) ont valsé. Mahmoud Belhassine, aux fonctions toujours discrètes est resté. Au fil des années, cette posture a fait de lui l’un des personnages les plus courtisés. Tous les hommes d’affaires s’y sont essayés. Las, Si Mahmoud, tout comme Bourguiba, méprisait l’argent.
Pour gagner les faveurs de son protecteur, la plupart des politiciens le flagornait outrageusement. Lui en riait. Il donnait du « patron » au plus mielleux de ses courtisans. Il savait toutes les turpitudes de chacun mais ne le laissait jamais à penser. L’homme de l’ombre ne se livrait qu’au Président.
A partir des
années 70, sa proximité avec le Chef de l’Etat n’était plus un mystère. Il
était de tous les voyages officiels et de toutes les rencontres importantes.
Mais il demeurait en retrait, déclinait les charges ministérielles, les
limousines et les escortes. Midi et soir, il était à la table de
Bourguiba. L’après midi ils faisaient de conserve une promenade et
s’enfermaient en tête à tête pour disaient-ils, lire et commenter tranquillement
les journaux.
Si Mahmoud savait tout mais ne livrait rien. Cela horripilait la cour des courtisans et tous les membres du gouvernement dont l’importance se sentait rabaissée par un homme qui traitait avec une égale courtoise le va-nu-pieds et le puissant.
Si Mahmoud savait tout mais ne livrait rien. Cela horripilait la cour des courtisans et tous les membres du gouvernement dont l’importance se sentait rabaissée par un homme qui traitait avec une égale courtoise le va-nu-pieds et le puissant.
Dès le printemps 1985, la course à la succession est ouverte,
la machine à comploter devient incontrôlable. Des écoutes
sophistiquées enregistrent le moindre soupir du Palais de Carthage et de la
villa de Skanès. L’entourage de Bourguiba est mis aux enchères : ministre,
ambassadeur, directeur de banque, sexe, corruption, chantage… Tout est bon pour
influencer l’entourage et abuser de la faiblesse du vieux Président. On tente
même de soudoyer Ali, le fidèle majordome du Président.
« Ils
vont tous à la soupe » disait Si Mahmoud qui demeurait insensible aux
offres de trahison.
Bourguiba et son ami partageaient les mêmes convictions,
le même sens de l’Etat, l’amour de leur pays et surtout le même humour. Car le
Président tunisien (comme de Gaulle) n’a jamais manifesté la moindre hilarité
en public. Tout au plus se laissait-il aller à étouffer quelques
hoquets les lèvres serrées, en secouant les épaules. Il considérait que le rire et la plaisanterie
étaient incompatibles avec son personnage. Ses bons mots étaient seulement
ponctués de brèves onomatopées : hein ! Ha ha !
Le besoin de dérision était le secret le mieux
gardé de Bourguiba dont Belhassine était complice.
Ben Ali, général de police sinistre et cynique en
était lui totalement dépourvu.
En novembre 1987 il a destitué le vieil homme après l’avoir patiemment drogué et avili. Si Mahmoud a été jeté en prison, on a rasé sa maison à Carthage Amilcar. Puis, sans doute lassé par les interventions « venues de l’étranger » le dictateur a « gracié » le détenu au bout de deux ans à l’expresse condition d’un exil définitif.
Si Mahmoud s’en est retourné à Rambouillet. Sans le sou. L’administration française pour laquelle il avait cotisé de 1940 à 1956 lui a versé la pension modeste à laquelle il avait droit. Privé de papiers, il a décliné l’asile politique préférant acquérir en 1993 la nationalité de son épouse.
La vieillesse ne lui a pas épargné le pire des
supplices familiaux, celui de la disparition d’un être qu’il avait élevé.
Il s’est éteint le 18 février 2013.
Fidèle patriote, témoin de l’histoire
glorieuse du grand Bourguiba et de sa piteuse déchéance, il n’a jamais exprimé
aucune acrimonie ni ressentiment envers quiconque.
Par décence il refusait de livrer ses carnets de
mémoire.
Le temps est
peut-être venu de vider le grenier à souvenirs…
Au royaume
des cieux Habib Bourguiba est content, il a retrouvé son copain : « mais
où étais-tu donc passé jeune homme ? »
Allah
Yarhamouhom
sur le coup d'État du 7 novembre 1987
http://hybel.blogspot.fr/2011/02/si-mahmoud.html
http://hybel.blogspot.fr/2011/11/la-grippe-tunisienne.html
sur le coup d'État du 7 novembre 1987
http://hybel.blogspot.fr/2011/02/si-mahmoud.html
http://hybel.blogspot.fr/2011/11/la-grippe-tunisienne.html
6 commentaires:
Fabuleux
Cet homme est mon grand pére
Je viens de prendre connaissance de toutes ces informations et je suis remplis de tristesse mais Mahmoud Belhassine restera dans mon cœur et sera toujours présent dans mes pensés . Un homme exceptionnel qui va manqué à nous tous mes qui restera toujours présent par sa grandeur d'esprit, sa bonne humeur et sa fidélité. Une grande place auprès de Dieu. Une profonde assurance de ma fidélité à toute sa famille. Jean-Jacques
mon fils s'appelait aussi Elias BELHASSINE mais n'était pas membre de cette famille
J'ai connu Si Mahmoud et sa famille au début des années 80. Une famille adorable. Si Mahmoud, je l'aimais! Son épouse vous recevait à Rambouilletavec une exquise gentillesse.Ferid, Leila, Edi...des gens biens.
HEDY...bien sûr!
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